Souriante

"Mais pourquoi réagis-tu comme ça à cela?" me demanda-t-elle, étonnée de me voir pleurer à l'évocation de cette blague anodine qui m'avait blessée comme une méchante critique, alors qu'après réflexion c'était juste un petit clin d'œil à mon anxiété permanente?  Oui, la moindre petite contrariété m'apparaît comme une attaque personnelle et me met dans un état pas possible, d'autant que j'ai toujours l'impression que je mérite ce qui m'arrive.

Comment pouvais-je lui expliquer que malgré mes sourires et ma bonne humeur apparente, à l'intérieur de moi-même j'étais constamment envahie par un immense désespoir, une tristesse incontrôlée et une envie permanente que tout s'arrête?

Comment expliquer que des remarques ou des situations banales pouvaient m'embarrasser et me paraître humiliantes?

Comment savoir pourquoi ma peur constante de l'échec me poussait à toujours planifier chaque étape de ce que je voulais entreprendre?

Me croirait-elle si je lui disais que de continuer à vivre normalement était devenu un automatisme auquel je me soumettais chaque jour pour ne pas devoir expliquer pourquoi je n'irais pas à ma réunion, pourquoi je ne désirais plus soigner mes petits maux, pourquoi je laissais mon frigo et mes armoires se vider sans avoir envie de les remplir de choses que j'aimais avant mais qui ne me donnaient maintenant plus aucun plaisir?

Comprendrait-elle que les activités pour lesquelles j'étais si passionnée ne me satisfaisaient plus mais que par contre l'idée de cuisiner pour elle, par exemple, ou de crocheter des petits animaux afin de les vendre au profit des sans-abris, ou encore d'être attentive et aux petits soins pour les copains et copines de mon groupe de loisirs contribuait à me faire me sentir utile et peut-être appréciée et un peu aimée?

Je me dis parfois aussi que si j'avais un petit chat dont je devrais bien m'occuper m'aiderait à ne plus me focaliser sur ma petite personne et que cela me donnerait une chouette raison de mieux vivre mon quotidien.

Bien sûr, je n'ai pas trop de doute sur son amour à elle, cela n'a rien à voir!  Je crois aussi que mes fils et mes petits-enfants m'aiment, à leur manière, sans le dire tous les jours.  Cependant, il m'arrive de ne plus consulter les messages sur mon téléphone ni de vérifier si j'ai eu des appels parce que je sais d'avance qu'il n'y en aura pas.  Pourtant, le moindre petit contact, écrit ou oral, et quel qu'en soit le contenu me fait un bien fou et je suis revigorée pour quelques heures.  Alors je fais des listes de ce que je dois faire, de ce que j'ai envie de faire, je planifie mes activités et mes repas.  Par la suite, quand je reprends cette liste, il y a beaucoup de choses que je supprime, que je reporte à plus tard, ou alors tout simplement, je la jette.

Bien sûr, je montre à tous un visage souriant, je plaisante, je semble toujours de bonne humeur, je parle beaucoup de choses sans très grande importance, ainsi le temps s'égrène et je n'ai plus l'envie de parler de moi.

Qui comprendra que je trouve malgré tout suffisamment de force en moi pour continuer à vivre mais que je manque d'énergie pour mettre fin à cette vie que je trouve absurde et inutile?

Et puis, elle va me demander quelles sont mes raisons d'être comme ça.

Si je lui parle de mon sentiment de culpabilité et de honte sur ce que j'ai fait de ma vie et comment j'ai en quelque sorte un peu pourri celle de mes enfants, que me répondra-t-elle?

Alors je garde tout pour moi et chaque soir tout tourne dans ma tête et m'empêche parfois de m'endormir malgré la fatigue qui m'avait fait somnoler devant le programme télé.

Date de dernière mise à jour : 19/07/2025

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