Titine

 

Elle aimait les promenades dans le vent léger d’un début de printemps.  Elle était fière de sa couleur pourpre et de ses chromes brillants.  Le regard émerveillé des passants la faisait frissonner de plaisir, les indifférents, elle leur faisait tourner la tête vers elle, d’un léger crissement ou d’un petit cri aigu qui leur vrillait le tympan.  Elle atteignait le summum de la jouissance lorsqu’elle se faisait arrêter par de beaux policiers en uniforme qui tournaient autour d’elle, la touchaient, lui donnaient une petite tape sur le flanc et la laissaient repartir, la suivant d’un œil rêveur, sachant que jamais, elle ne leur appartiendrait.  Le froid lui faisait un peu peur, la nuit aussi.  Elle craignait les routes sombres bordées d’arbres touffus qui absorbaient la lumière des lampadaires et où nulle maison n’était venue se blottir.  La lumière des phares l’éblouissait plus qu’elle ne voulait se l’avouer et elle se forçait à rester vigilante pour ne pas dévier de sa route.

En été, elle allait toujours tête nue, offrant ses entrailles au vent décoiffant de la vitesse.  Les rayons chauds du soleil relevaient intensément ses odeurs les plus intimes en un subtil parfum de luxe.

Distraite, elle oubliait souvent les règles appliquées à ses semblables mais elle n’en avait cure, elle se sentait éternelle, infiniment maître de son destin, sûre de son impunité.  Elle était unique, majestueuse et belle, aux autres de s’écarter

C’est à tout cela qu’elle pensait en voyant s’approcher l’homme dans son ciré jaune et blanc, armé d’une machine infernale, prêt à la découper.

Tout contre elle, sur son flanc gauche, elle sentait haleter une petite garce verte qui avait voulu l’ignorer.  Elle la considéra avec mépris, souhaitant la voir rendre très vite son dernier soupir en guise de châtiment mérité.  Tout à coup, elle se sentit bizarre, sur le point de défaillir.  Dans le reflet du pare-choc d’un énorme camion rouge, à la lueur des gyrophares bleus, elle se vit, lamentable, les coups qui lui avaient été portés la rendaient méconnaissable.  Lorsqu’elle sentit la première déchirure, elle sut qu’elle ne verrait plus le jour se lever et pleura de toute son huile sur sa fin prématurée.  Elle regarda les fleurs sur le bas côté, les yeux verts d’un chat errant qui venait la renifler.  Elle entrevit le regard inquisiteur de badauds qui s’étaient arrêtés un instant pour mieux la critiquer.  Elle eut une pensée pour son jeune maître qui avait jusque là, su si bien la cajoler, elle l’entendait respirer faiblement et s’offrit en pensée à son sacrifice dernier pour qu’il puisse être libéré de son corps tant abîmé et espéra finalement en un élan ultime de son orgueil démesuré, que grâce à son offrande dernière, lui au moins pourrait être sauvé !

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