Mummy

 

Une vieille femme qui avait du mal à marcher, se promenait dans le parc inondé de soleil.  Elle se racontait à elle-même des souvenirs de son enfance, parfois elle en souriait, parfois des larmes lui venaient au coin des yeux.  Elle aurait voulu revenir en arrière, réparer ses erreurs, elle se sentait coupable.  Elle s’assit sur un banc en bois au bord du terrain de jeux et regarda les enfants jouer, rire, se poursuivre, s’attraper, faire semblant de mourir, se relever.  Elle les entendait  crier, se lancer des insultes, des phrases reprises, entières, de quelque feuilleton télévisé.  Elle, bientôt, elle ne ferait plus semblant.  Quand elle fermerait les yeux, ce serait définitif, et la soif dévorante qu’elle avait de corriger son passé lui serrait le cœur de tout le mal qu’elle avait causé aux siens, sans le vouloir sans doute, mais elle n’en était plus très sûre.  Avait-elle vraiment pris le temps d’aimer, de profiter de ces belles journées où sa jeunesse resplendissante éveillait des regards admirateurs, de savourer l’innocence de l’enfance ou de se laisser aller avec délices aux joies apportées par la famille qu’elle avait créée ?  Elle se demandait pourquoi, alors qu’elle sentait tant de bonheur autour d’elle, elle avait été de ceux-là sur lesquels plane sans cesse l’ombre du malheur.  Chaque minute d’insouciance avait dû être compensée par des heures d’inquiétude ou de désespoir.  Chaque seconde d’espérance s’était vue remboursée par des années de souffrance.  Etait-ce propre à elle-même cette fatalité ?  Qui avait été responsable de son devenir ?

Des amoureux au regard alangui s’installèrent sur un banc voisin, à sa droite.  Devant elle, deux mamans poussant un landau s’étaient arrêtées, histoire de faire une petite halte pour immortaliser en photo numérique le soleil qui dorait de ses rayons le visage de leurs bébés enfouis aux trois quarts dans de chaudes couvertures aux couleurs claires.

Elle frissonna, le soir tombait plus vite déjà en ce début d’automne et elle avait négligé d’emporter son châle en laine bleue, tricoté avec amour par sa fille, il y avait si longtemps, lui semblait-elle !  Elle voulait se lever lorsqu’un ballon de football heurta la pointe de son pied droit qu’elle avait mis en avant.  Deux garçonnets un peu gênés la dévisageaient, hésitants et inquiets.  Elle leur sourit et donna joyeusement un petit coup de pied dans le ballon.  « Merci, madame ! » dit l’un d’eux en le ramassant et ils s’enfuirent à toutes jambes vers les balançoires.

Elle aimait à croire qu’elle était encore dynamique et forte et se dit qu’elle aurait bien voulu, à cet instant, se glisser dans un toboggan, faire des pâtés dans le sable, jouer « à chat », ou participer à tout autre jeu avec ces enfants.  Ils se seraient sans doute moqués d’elle, ils n’auraient pas compris.  Peut-être plus tard, quand eux-mêmes approcheraient d’un âge où tout devient évident, se souviendraient-ils de la petite vieille assise sur son banc.

Elle reprit sa route vers sa solitude, cherchant toujours les réponses aux mêmes questions, tournant dans sa tête d’autres scénarios dont l’issue aurait été meilleure, corrigeant là une réplique, ici une attitude.

L’histoire n’était plus la même, ce n’était plus son devenir, c’était une autre vie qui lui permettrait de passer outre encore cette nuit, d’éviter les cauchemars style vidéo réalité qu’il lui était impossible d’effacer, tous ces petits jours sans entendre un mot d’amour.  Un délai, un de plus, qu’elle accumulait sans le vouloir, comme un avare entasse ses piécettes sans les compter, et qu’elle prenait comme une punition, une perpétuité qui voyait disparaître ses voisins, les commerçants, les célébrités de sa génération, toutes les personnes auxquelles elle n’avait jamais dit combien elle les estimait, toute sa descendance qui ne voulait plus la voir, et qui avait grandi sans vraiment la connaître, qui la laissait seule avec ses fantômes inavoués, au milieu de visages inconnus et d’un nature mouvante, qu’elle ne reconnaissait plus, de produits dont elle ne voyait pas l’utilité, mais qu’elle achetait quand même en se disant qu’elle pourrait les offrir à l’un ou l’autre qui lui rendrait enfin une petite visite, de paysages changeants où elle se sentait perdue et de machines de plus en plus bruyantes qui l’étouffaient doucement.

Elle ne désirait pas que sa promenade s’achève, elle ne désirait plus rien.  La petite vieille se laissait guider par son instinct pour suivre son chemin imprégné de routine et sa détresse impalpable n’émouvait plus personne !

 

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