En premier lieu, j’imagine un immense troupeau immobile sur un gazon vert tendre. A l’horizon, un ciel bleu uni, sans nuages, j’ai trop peur de les confondre avec les moutons. A l’avant, je place une barrière en bois brun foncé. Ensuite, un à un, les moutons s’avancent et je les fais sauter. Je tente alors de les compter, il paraît que c’est le meilleur moyen pour rencontrer Morphée. Mais voilà qu’un mouton têtu refuse de sauter ! Je le rassure, je lui explique qu’il n’y a pas de danger. Je le supplie de me rendre ce service au nom de l’humanité. Compréhensif, il prend son élan et bondit, superbe, il atterrit de l’autre côté et fier de son exploit, contourne la barrière pour recommencer.
Rien ne va plus, je ne sais plus où j’en suis, je dois reprendre à zéro, je n’ai pas pu l’en empêcher. Combien de minutes se sont écoulées ? J’ouvre un œil, un seul, l’autre doit conserver le décor si patiemment élaboré. Onze heures dix-sept ! Depuis plus d’une demi-heure, j’essaye de sombrer. Les moutons s’impatientent dans ma tête, leurs sabots nerveux martèlent mon crâne et voilà que vient la migraine. Allons, il faut se calmer !
Un pâtre au visage familier apparaît, il joue un air apaisant sur sa flûte traversière et emmène le troupeau vers la barrière. Il rythme les sauts des moutons obéissants. Ils se hâtent, se succèdent, la cadence s’accélère. J’ai du mal à les suivre, mon pouls s’emballe, je transpire. Hop, et hop, et hop … et patatras, un mouton moins en forme vient de heurter la barrière et retombe lourdement sur son flanc. Le vétérinaire, que j’avais oublié de mentionner, se précipite. L’animal blessé est emmené en hélicoptère vers un hôpital de campagne dont aucun n’est jamais rentré. Le pâtre s’est arrêté de jouer, les moutons bêlent tristement. Moi, je voudrais bien qu’ils recommencent à sauter, il paraît que c’est le meilleur moyen pour rencontrer Morphée … !
J’ouvre un œil, l’autre pour ne pas fatiguer plus le premier, afin de vérifier depuis combien de temps j’essaie désespérément de trouver le sommeil qui ne se trouve toujours pas sur mon oreiller. Je ne distingue plus les chiffres qui se sont brouillés. Il n’y a même plus de tic tac sur ce radio réveil pour me bercer. Je me retourne vers le paysage qui commence à s’effacer.
Le pâtre me fait un signe d'adieu de la main gauche et de la droite retient un agneau qui voudrait me suivre dans la réalité.
C’est à ce moment que retentit la musique qui doit me délivrer du sommeil et m’inciter à me lever. Je l’arrête fébrilement. Il est six heures, je suis épuisée. Encore une nuit blanche, dont je me souviendrai, blanche comme la laine des moutons avant qu’elle ne soit teintée. Blanche comme la peau de mon visage fatigué, comme la lune qui brille encore à l’horizon du ciel noir étoilé. Blanche comme toutes celles dont je m’extirpe sans peine malgré tous mes efforts pour compter ces chers quadrupèdes peuplant mes rêves désespérés et dont je ne saurai peut-être jamais combien ils sont dans ce pré.